Machinisme de demain, un défi humain ! Comment adapter ses choix techniques pour améliorer la fertilité des sols ?
Télégonflage, apports de composts, pulvérisation localisée… José Godineau, exploitant et entrepreneur en Maine-et-Loire, met tout en œuvre pour améliorer la fertilité de ses sols et réduire les épandages de produits phytosanitaires. Rencontre avec un passionné d’agronomie et d’agriculture de précision.
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À Saint-Macaire-du-Bois, en Maine-et-Loire, José Godineau et son frère Tony sont installés sur une exploitation céréalière. En parallèle, ils ont aussi créé une ETA pour assurer principalement des prestations de A à Z, et quelques travaux annexes. Très pointus sur les questions d’agronomie, ils ont toujours cherché à innover pour produire mieux en respectant les sols. Tout commence au début des années 1990, quand José conçoit la première trémie frontale du marché afin de rééquilibrer la charge de son tracteur.
« J’ai démonté un ancien semoir Accord en ne gardant que la cuve et la soufflerie entraînée par la prise de force avant, se souvient-il. Ce montage m’a permis de supprimer la masse de 800 kg sur le relevage frontal. J’ai baissé la pression des pneus de moitié, passant de 1,6 à 0,8 bar, en conservant de l’adhérence. Il m’a toujours paru essentiel de réduire le tassement du sol, pour maintenir de la porosité et faciliter le développement des racines. Si la plante se trouve en bonnes conditions, il lui faut moins d’engrais et moins de chimie, c’est pourquoi, dès 1995, j’ai voulu aller plus loin en installant mon premier système de télégonflage. »
Toujours moins de 1 bar de pression
À l’époque, les deux exploitants équipent un tracteur et un épandeur à deux essieux avec du matériel Teleflow, initialement destiné aux engins de génie civil. Constatant un effet positif, ils généralisent ensuite ce montage à l’ensemble du parc : tracteurs, moissonneuse-batteuse, remorques, pulvérisateur… L’objectif est de travailler toujours en dessous de 1 bar de pression, sauf, éventuellement, lors de la moisson estivale, lorsque les conditions sont sèches, et les sols moins sensibles au tassement. Clients de la marque Fendt, ils ont choisi l’optionnel télégonflage intégré VarioGrip pour tous les tracteurs arrivés récemment. Tous les autres matériels reçoivent, quant à eux, soit l’ancien kit de Teleflow, soit celui de la société allemande PTG, une filiale de Michelin.
Dans un même souci d’agronomie, les deux frères ont passé des accords dès les années 1990 avec des éleveurs de volailles en hors-sol pour récupérer leurs fumiers afin de fertiliser les cultures. L’objectif était de relever le taux de matière organique des sols. Pratiquement aucune paille n’est exportée. Depuis 2010, une station de compostage a été aménagée sous un bâtiment. Les fumiers de différentes origines sont d’abord mélangés en utilisant l’épandeur. Le produit est déposé sur une dalle en béton pourvue d’une ventilation par le sol et d’une rampe d’arrosage en hauteur. L’oxygénation et l’humidification accélèrent la maturation et la montée en température sans avoir à retourner le tas. Le compost est ainsi normé et hygiénisé, et peut entrer dans le plan de fumure.
Itinéraires simplifiés
Sur l’exploitation, comme sur les fermes gérées par l’ETA, la majorité des terres est cultivée en itinéraire simplifié depuis 25 ans. José Godineau choisit parfois de labourer une parcelle s’il estime que c’est la meilleure option, en cas de problème d’enherbement par exemple. Tous les semis en ligne sont réalisés avec du matériel maison, associant un outil de travail du sol (déchaumeur léger ou herse rotative), une tête de distribution et une trémie frontale. Les passages de pulvérisation sont figés tous les 30 m depuis une quinzaine d’années grâce au balisage par RTK, l’entrepreneur ayant installé une antenne sur l’exploitation dès 2008. Le pulvérisateur est équipé de pneus de 650 mm en hiver et de 420 mm au cours du printemps. Au niveau des passages de roues, le sol est certes plus compacté, mais aussi plus portant. L’objectif est d’éviter tout risque de création d'ornières afin de stabiliser l’appareil et de limiter le fouettement de la rampe – un point important pour garantir une bonne répartition du traitement, sans usure prématurée du matériel. Pour le travail du sol, les passages d’engins sont majoritairement effectués en diagonale. Une technique que l’agriculteur estime plus facile à mettre en œuvre et plus efficace que le principe du controlled traffic farming(1), lequel l’obligerait à revoir tout son parc matériel. Il juge aussi ses sols trop argileux pour envisager cette technique.
(1) Le controlled traffic farming (CTF) consiste à figer tous les passages d’outils dans les mêmes traces.
Pulvérisation localisée
En 2017, un automoteur de pulvérisation Berthoud Raptor 5240 à rampe arrière est arrivé sur la ferme. Celui-ci est équipé de la technologie pulse width modulation (modulation d’amplitude d’impulsion) ou PWM. Le principe ? Chaque buse est dotée d’un dispositif d’ouverture et de fermeture qui fonctionne à une fréquence de 20 pulsations par seconde. En jouant sur le tempo, il est possible de moduler le débit instantané de 50 % sans modifier la pression. Ainsi, sur l’exploitation, avec une même buse rouge fonctionnant à 3 bar, le chauffeur peut faire varier sa vitesse de travail de 9 à 18 km/h, en conservant la même dose cible et la bonne taille de gouttelettes. Cette modulation est gérée individuellement à la buse.
Si l’automoteur est contraint de rouler moins vite sur une partie de son parcours, cela n’impacte donc pas la qualité de la pulvérisation. Dans les virages, le système augmente le débit du côté extérieur et le réduit à l’intérieur pour maintenir une application uniforme sur toute la largeur. Le principe est également intéressant dans les parcelles en pointe pour la coupure automatique de tronçons. Cette technologie ouvre aussi la porte à une modulation de la dose appliquée buse par buse.
Jusqu’à 90 % de phyto en moins
Pour aller encore plus loin dans la précision et optimiser les traitements phytosanitaires de leur pulvérisateur, José et Tony Godineau ont équipé ce dernier de onze caméras Carbon Bee, réparties sur les 30 m de rampes. Chacune pilote cinq ou six buses. Ces caméras sont de type hyperspectral, une technologie capable de distinguer les plantes entre elles et donc de différencier les adventices de la culture en place. Les images sont transmises en continu à la console en cabine pour une analyse par un système d’intelligence artificielle. Cette solution est par exemple utilisée pour traiter les vivaces (chardons, rumex et liserons) sur les chaumes de blés.
« J’ai des parcelles qui sont parfois peu infestées, mais où il faut tout de même passer partout, explique José. Grâce à la pulvérisation localisée, je suis descendu à moins de 10 % de la surface totale traitée avec, en parallèle, une baisse de 90 % des quantités de produits phytosanitaires utilisées. Je teste également le système pour la fertilisation azotée. L’objectif est alors de bâtir un modèle qui se base sur la masse de végétation pour définir le débit optimal d’azote liquide à la buse. »
Comparé à un pulvérisateur standard, le surcoût d’un tel équipement est de l’ordre de 2 000 €/m linéaire de rampe. Ce prix intègre à la fois l’achat du matériel et les mises à jour régulières de l’application. José Godineau estime que, avec le gain permis sur les différents traitements phytosanitaires, la rentabilité est obtenue entre trois et cinq ans. Il n’exclut pas non plus que, dans un avenir proche, le maintien de l’homologation pour certaines matières actives controversées soit soumis à ce type de technologies hyperprécises, où l’applicateur devra peut-être justifier d’un usage limité aux seules zones infestées.
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+1,5 point de matière organique
À long terme et sur la globalité d’une exploitation, il est souvent difficile d’estimer avec précision l’efficacité et la rentabilité de telle ou telle méthode de travail. Pour ce faire, José Godineau utilise certains indicateurs comme sa consommation de GNR. Celle-ci avoisine les 60 L/ha, un bon chiffre compte tenu des rendements moyens de l’exploitation : 90 quintaux par hectare (q/ha) pour le blé, 40 q/ha en colza, 120 q/ha en maïs irrigué et 80 q/ha en maïs sec.
« Généralement, en productions céréalières, la consommation de carburant est plutôt de l’ordre de 80 à 100 L/ha, souligne l’agriculteur. En 2020, j’ai vendu mon décompacteur, car je n’en avais plus l’utilité. En trente ans, le taux de matière organique des sols a progressé globalement de 1,5 point, passant en moyenne de 2,5 à 4 % : un résultat acquis grâce à l’ensemble des investissements et aux efforts ciblés autour du respect des sols, des apports de compost et de l’utilisation raisonnée des intrants. »
Maîtrise de la commercialisation
Agriculteur et entrepreneur de travaux agricoles, José Godineau possède une troisième casquette : celle de gérant d’un négoce agricole développé avec son frère, essentiellement pour commercialiser leurs productions et celles des fermes où ils travaillent. L’objectif est de valoriser des cultures sur des marchés parfois spécifiques : blé de meunerie, maïs waxy (cireux) pour le floconnage, tournesol pour l’oisellerie, soja destiné à des éleveurs équipés d’une fabrique d’aliments à la ferme, sarrasin pour l’alimentation humaine, luzerne fourragère séchée en grange…
« Je cible beaucoup de productions de niches, précise-t-il. C’est le cas pour les blés que je vends principalement au niveau local à des meuniers indépendants. Le stockage me permet aussi d’assembler les lots pour obtenir la qualité requise. J’ai également signé une charte garantissant l’absence de résidus de produits phytosanitaires issus des champs ou du stockage. Mais pour respecter ce type d’engagement, il faut avoir la maîtrise des conditions de production. »
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